6 juin 2025
Santé Québec poursuit ses compressions budgétaires et met fin au Plan d’action ministériel en santé et bien-être des hommes, en vigueur depuis 2017. Cette stratégie du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) soutenait les organismes spécialisés qui s’adressent directement aux hommes de la province, et facilitait leur mobilisation avec les établissements de santé.
Dans une lettre dont Radio-Canada a obtenu copie, Santé Québec annonce à ces organismes que le plan d’action ministériel ne sera pas reconduit pour l’année 2025-2026
.
Si cette décision ne met pas en péril leur financement récurrent, elle aura des conséquences directes sur les organismes en santé et bien-être des hommes (SBEH), selon une coalition de regroupements nationaux en la matière. Ce réseau possède une diversité de missions et œuvre sur de multiples fronts : violence conjugale, santé mentale, aide à la paternité, victimisation ou délinquance sexuelle, etc.
La stratégie ministérielle favorisait la coordination entre le réseau de la santé et ces organismes spécialisés qui travaillent en deuxième ligne.
« On se retrouve vraiment dans le flou dans une époque où le réseau de la santé est hyper sollicité. Il y a plein d’enjeux et il y a des transformations structurelles majeures avec l’arrivée de Santé Québec, et notre dossier, il n’existe plus, il n’est plus là. »
Parmi les mesures qui ne seront plus financées par le MSSS
, on trouve une somme de 1,2 million de dollars attribuée aux établissements du réseau de la santé, qui assurait le déploiement de plans d’action ciblés selon les régions.
Ce financement permettait aux CISSS et aux CIUSSS de compter sur des répondants régionaux
attitrés au dossier de la santé des hommes. Le rôle de ces interlocuteurs consistait notamment à arrimer les actions du réseau avec les intervenants sur le terrain, afin de rediriger les patients vers les ressources appropriées.
Selon nos informations, il reviendra à chaque établissement de santé de piger dans son enveloppe budgétaire existante pour financer ces efforts en SBEH. Toutefois, il n’est pas acquis que les directions régionales fassent ce choix dans un contexte de compressions.
La formation du personnel du réseau aux enjeux spécifiques touchant les hommes est également compromise. Ce transfert de connaissances permettait aux personnes en première ligne, comme des travailleurs sociaux ou des infirmières, de mieux cerner les besoins d’un homme qui pourrait se présenter en état de détresse.
On perd toutes les activités de diffusion de savoir, les webinaires midi, les études qui se faisaient pour mieux connaître les réalités masculines, la création d’outils, les projets pilotes pour aider les hommes dans les régions, énumère Raymond Villeneuve. Il y avait un paquet d’actions pour s’assurer que les services dans le réseau de la santé soient bien adaptés.
D’autre part, le Pôle d’expertise et de recherche en santé et bien-être des hommes (PERSBEH) perd aussi son modeste financement de 85 000 $. L’initiative rassemblait les connaissances d’une quarantaine de scientifiques qui s’intéressent aux dynamiques masculines, un domaine où il reste encore beaucoup à approfondir.
C’est un lieu carrefour d’interrogation et de développement qui vise à mieux documenter, à mieux comprendre, à mieux connaître la santé et le bien-être des hommes
, explique Jacques Roy, chercheur au PERSBEH et professeur associé à l’Université du Québec à Chicoutimi.
Cette somme rendait possible le partage de ce savoir aux organismes sur le terrain et le développement d’axes de recherche en fonction de leurs réalités.
Le 85 000 $ pour le ministère, entre nous, c’est une goutte d’eau, indique Jacques Roy. Ça couvre essentiellement les frais d’un coordonnateur scientifique et d’une personne qui est rattachée à la diffusion et aux communications.
vives préoccupations
Dans une lettre de réponse envoyée au MSSS, cette coalition d’organismes à la portée nationale lui fait part de ses vives préoccupations
.
Sur le terrain, ces organismes estiment que plusieurs enjeux spécifiques aux hommes sont relégués à l’arrière-plan
, tels que le décrochage scolaire, la surreprésentation dans l’itinérance et l’incarcération, ou encore les taux plus élevés de suicide. Selon les signataires, ces réalités et ces défis ne cessent de se complexifier
.
La coalition craint notamment un vide de services dans les régions, où les organismes sont souvent les seuls à répondre à des besoins en matière de SBEH.
« Au niveau des problématiques, il y a encore des écarts selon le genre et si on n’en tient pas compte, on rejoint moins les hommes et on favorise moins leur bien-être. C’est important parce que les hommes vivent avec des femmes, avec des enfants, ils vivent dans la société. Quand on a des approches qui visent spécifiquement les hommes, on les rejoint vraiment davantage. »
Pôle d’expertise et de recherche en santé et bien-être des hommes (PERSBEH)
Regroupement des intervenants en matière d’agression sexuelle (RIMAS)
Regroupement des organismes québécois pour les hommes agressés sexuellement (ROQHAS)
Regroupement pour la valorisation de la paternité (RVP)
Réseau d’aide aux hommes pour une société sans violence – À cœur d’homme
sur les prochaines actions
Le ministère de la Santé et des services sociaux et Santé Québec ont décliné nos demandes d’entrevue. Cependant, le MSSS souligne par courriel vouloir maintenir une collaboration constructive avec l’ensemble des acteurs concernés
.
Mis en place en 2017 sous un gouvernement libéral, le plan ministériel et ses impacts feront l’objet d’un bilan. Cette analyse servira aux réflexions sur les prochaines actions et moyens pour répondre aux besoins en matière de SBEH
, indique le MSSS.
De son côté, Santé Québec précise que certaines mesures seront maintenues dans une optique de transition
, peut-on lire dans les informations communiquées aux organismes.
Ainsi, le réseau des Maisons Oxygène, qui offre de l’aide et de l’hébergement aux pères et à leurs enfants en difficulté au Québec, bénéficiera d’une enveloppe additionnelle de 5 millions de dollars. Le Programme de soutien aux organismes communautaires (PSOC), qui assure le financement récurrent des organismes en SBEH, est également maintenu.
En avril dernier, Santé Québec confirmait faire face à un « manque à gagner » de 1,4 milliard de dollars pour l’exploitation du réseau en 2025-2026, après le dépôt du budget provincial. L’agence a pour mission de redresser la barre en santé publique en réduisant, entre autres choses, ses coûts d’opération.
Selon Raymond Villeneuve, l’abandon de ce plan d’action revêt une symbolique lourde de sens, puisque les hommes sont déjà laissés pour compte dans le champ de l’action sociale.
On dit aux hommes de demander de l’aide, mais la réponse n’est pas là, dit-il. On parle d’une petite somme d’un peu plus de 1 million de dollars [dans ce plan d’action] pour dire que les hommes existent, et qu’il faut tenir compte de leurs besoins. Je pense que le message est vraiment très triste. Nous, ça nous a coupé les jambes.