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«Un tabou dans un tabou»: 6 mythes au sujet des hommes agressés sexuellement

«Un tabou dans un tabou»: 6 mythes au sujet des hommes agressés sexuellement

Gabriel Ouimet - Journal 24 heures

16 décembre 2023 07H00 

De nombreux stéréotypes sont à l’origine de mythes qui contribuent au fait que les hommes agressés sexuellement ne se voient pas comme des victimes et attendent des décennies avant de parler de ce qu’ils ont vécu. Plusieurs n’en parleront jamais. Des experts et des survivants s’attaquent à six de ces croyances.

1- Les hommes agressés sexuellement agresseront à leur tour

Les statistiques indiquent que 10% des hommes québécois auraient été agressés sexuellement à l’enfance. Ce taux grimpe à 23% chez les agresseurs, selon l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ). Or, ce n’est pas parce que les agresseurs ont souvent été victimes qu’une victime sera agresseur. 

Cette idée tenace fait en sorte que les hommes agressés sexuellement, particulièrement ceux agressés à l’enfance, ont tendance à avoir peur de leur propre comportement, explique la psychologue Natacha Godbout.

«Ces hommes se disent que s’ils changent une couche et qu’ils lavent les fesses de leur enfant, c’est peut-être de l’abus. Il y a des fantômes qui s’immiscent dans leur intimité», illustre-t-elle.

«Presque tous les pères que j’ai eus dans mon bureau me disaient avoir peur de l’intimité avec leur enfant», soutient de son côté le directeur du Regroupement des organismes pour hommes québécois agressés sexuellement (ROQHAS), Samuel Dussault. 

Ils sont aussi nombreux à craindre que leurs gestes soient mal interprétés, souligne Gilles Gasaille, qui a lui-même été agressé lorsqu’il était enfant. 

«Ma belle-sœur avait trois jeunes filles qui m’adoraient et elles m’embarquaient dessus. Moi je mettais mes mains en l’air, pour les montrer. Je n’osais pas répondre à l’amour qu’elles me donnaient, parce que j’avais peur que ma belle-sœur interprète un de mes gestes et me catégorise comme un agresseur», souligne l’homme de 61 ans.

2- Ce n’est pas une agression si le garçon ou l’homme est sexuellement excité

L’érection et l’éjaculation sont des réactions mécaniques normales à une stimulation physique. Elles ne sont pas des preuves de consentement. Or, c’est souvent ce que l’agresseur tentera de faire croire à sa victime, soulignent les experts. 

Gilles Gazailles connait trop bien la honte, la culpabilité et la confusion que peuvent engendrer ces réactions. 

«Ma troisième agression, je m’en suis voulu beaucoup, parce que j’ai aimé ça. Pourtant, ce n’était pas ma faute, c’est automatique, tu ne contrôles pas ça. Je suis sorti de là et je pleurais. C’est celle qui m’a le plus affectée et c’est ce qui a fait en sorte que je ne me voyais pas comme une victime», confie-t-il.

3- Un «vrai homme» peut se défendre contre une agression sexuelle

L’idée de l’homme capable de s’imposer pour se défendre implique qu’une agression sexuelle est nécessairement un acte violent duquel la victime a pleinement conscience. Une agression sexuelle peut toutefois se dérouler doucement, ce qui n’amenuise en rien sa gravité. Elle peut aussi prendre de nombreuses formes, dont les attouchements (même par-dessus les vêtements) et les baisers. Elles n’impliquent pas nécessairement de pénétration (viol).

Cette croyance ignore donc la manipulation, la peur et la confusion qui s’opèrent très souvent lors d’une agression sexuelle. Les hommes agressés en viennent ainsi à se culpabiliser en se disant qu’ils auraient pu et qu’ils auraient dû réagir autrement. 

4- Un adolescent devrait être fier d’avoir des relations sexuelles avec un ou une adulte

En 2021, un scandale a secoué la ville de Sherbrooke. Une étudiante au baccalauréat en enseignement a été reconnue coupable de crimes de nature sexuelle envers un adolescent de l’école où elle travaillait. «Maudit chanceux, c’était mon fantasme», «Pourquoi il se plaint»: les commentaires sous l’article relayé sur les médias sociaux ont dégoûté Alexandre Tremblay-Roy, directeur du SHASE, un organisme qui vient en aide aux hommes victimes de violence sexuelle. 

«Mettez-vous à la place d’un adolescent qui a été agressé par une adulte. Il va peut-être se dire que ce n’est pas normal qu’il ne se sente pas bien avec ça. Il va minimiser ce qu’il a vécu et il n’en parlera pas», avertit-il.

En 2022, les réactions vis-à-vis de la série Chouchou, qui abordait la relation illégale entre une professeure et son élève de 17 ans, a également illustré la banalisation de ce genre de crimes. On parlait de «dérapage amoureux», «d’amour interdit», d’une femme ayant «perdu ses moyens». L’adolescent était quant à lui qualifié de «charmeur» et «d’audacieux», des qualificatifs qui lui faisaient porter la responsabilité du crime de sa professeure, a dénoncé la responsable du Projet partenarial sur la victimisation masculine, Natacha Godbout, dans une lettre cosignée par plus de 80 experts et intervenants publiée dans Le Devoir au mois de décembre 2022. 

Le Code criminel du Canada est clair: une relation sexuelle entre un mineur et une adulte en position d’autorité constitue un crime. D’ailleurs, même si un mineur de 16 ans peut consentir à avoir une relation sexuelle avec un adulte, la différence d’âge qui les sépare doit être de moins de 5 ans pour que le rapport sexuel soit légal. 

5- Un «vrai homme» peut endurer ses traumatismes tout seul

Pendant plus de 20 ans, Sébastien Lacroix a refoulé les séquelles émotionnelles des agressions sexuelles qu’il a subies aux mains de son père. Élevé dans un environnement tough, il a longtemps consommé pour anesthésier sa douleur. Il sait aujourd’hui que ce blocage découlait du système de manipulation mis en place par son père, mais aussi du fait que la douleur des hommes est, selon lui, banalisée dans la société. 

«Le stéréotype de l’homme qui est assez fort pour traverser n’importe quoi, c’est une des grosses raisons qui font que je n’ai pas parlé. En plus, on entend très rarement parler des hommes victimes d’agressions sexuelles dans les médias et à la télé. C’est comme si c’était moins grave», souffle-t-il. 

La déconstruction de l’image de l’homme capable de porter seul son fardeau demeure un défi pour ceux qui interviennent auprès de ces hommes, explique le directeur de l’organisme Soutien aux Hommes Agressés Sexuellement Estrie (SHASE), Alexandre Tremblay-Roy. 

«On essaie de promouvoir l’idée qu’il existe plusieurs masculinités, mais il y a encore un fond de masculinité classique qui est très présent dans la société et qui continue à être un frein à la demande d’aide», explique-t-il. 

6- Un «vrai gars» ne refuse pas d’avoir des rapports sexuels

Au Québec, 8,2% des hommes déclarent avoir vécu une agression sexuelle après l’âge de 15 ans. Près d’un universitaire sur quatre rapporte avoir vécu des violences sexuelles de la part d’une personne affiliée à son université. Ces statistiques ne représentent toutefois que la pointe de l’iceberg, avancent les spécialistes. L’image de l’homme à la libido insatiable contribue à cette distorsion, explique le directeur du ROQHAS, Samuel Dussault. 

«C’est sous-entendu qu’un homme devrait toujours vouloir du sexe. Un vrai homme, ça ne refuse jamais de sexualité. Il y a une honte, une peur du jugement qui s’installe. Ça rend le refus et la recherche d’aide difficile pour certains», indique-t-il.

Si vous ou vos proches avez besoin d'aide

▶ Regroupement des organismes pour hommes québécois agressés sexuellement (ROQHAS) − (514) 797-2787 

▶ Soutien aux hommes agressés sexuellement – Estrie (SHASE) − (819) 933-3555

▶ Centre de Ressources et d’intervention pour hommes abusés sexuellement dans leur enfance (CRIPHASE) − (514) 529-5567 

▶ Entraide Mauricie-Centre-du-Québec pour hommes agressés sexuellement dans l’enfance (EMPHASE) − 1 (855) 519-4273

▶ Info-aide violence sexuelle (Partout au Québec) − 1 (888) 933-9007

▶ Ligne québécoise de prévention du suicide − aqps.info