ROQHAS

La loi du silence

La loi du silence

Montréal 28 octobre 2024 – En deux ans, au moins 9 éducatrices en poste au centre de réadaptation Cité-des-Prairie auraient eu des comportements à caractère sexuel sur des adolescents. 7 ans après le #MoiAussi, malgré tous nos efforts de sensibilisation sur les violences sexuelles, il est inacceptable qu’une situation comme celle-ci puisse se produire à l’intérieur de nos institutions qui sont censées réadapter ces jeunes. Malgré l’enjeu qu’il n’y a encore aucune accusation criminelle portée envers ces éducatrices, nous avons le devoir de rappeler que ces situations sont des abus sexuels envers des adolescents. 

« La loi du silence »

Comme l’a si bien dit l’un des informateurs de La Presse, il existe une «loi du silence». Ce terme définit bien la situation dans notre culture concernant les violences sexuelles chez les garçons et les hommes. Dans les réactions sociales et institutionnelles, dans les difficultés de dévoilements pour ces garçons et hommes, dans le manque de financement des organismes leur offrant de l’aide et dans le manque de sensibilité que nous accordons aux hommes victimes de violences, une loi du silence marginalise la victimisation sexuelle chez les hommes. 

Il est très préoccupant de savoir qu’autant de violences sexuelles ont pu se produire dans le même centre de réadaptation en si peu de temps. Bien que les faits rapportés datent de plusieurs mois, voire des années, et qu’il n’y a aucune ambiguïté sur la nature de certains crimes, pourquoi aucune accusation criminelle n’a été portée jusqu’à maintenant? Qu’est-ce qui explique un si grand nombre de violences sexuelles en si peu de temps dans le même centre de réadaptation pour les jeunes? De nombreuses questions se posent sur les processus de plaintes lorsque des violences sexuelles sont rapportées ou lorsque des employés en sont témoins. Nous allons devoir attendre le rapport d’enquête attendu au cours de l’automne et les futures poursuites criminelles pour comprendre comment ces gestes ont pu être tolérés aussi longtemps.

Le mythe de l’adolescent «manipulateur»

La question a été posée dans les médias : est-ce que ces jeunes auraient manipulé ces éducatrices ? Notre manque de sensibilité pour parler de violences sexuelles chez ces adolescents est lié à ce mythe tenace de l’adolescent «charmeur» ou «manipulateur» qui souhaite avoir des rapports sexuels avec une femme plus vieille. Ce mythe, renforcé par le fait que ces jeunes sont des contrevenants, ne doit pas diminuer notre empathie par rapport à ces adolescents. Poser la question démontre que nous avons ce biais envers les adolescents masculins. Aucun facteur de vulnérabilité d’une victime, y compris un passé de délinquance, ne peut justifier de blâmer une victime pour les violences sexuelles subies. La responsabilité de ces violences revient à ses éducatrices, d’autant plus qu’elles étaient en position d’autorité et avaient le devoir de les aider.

Ce n’est pas rare

Bien que la majorité des violences sexuelles rapportées soient commises par des hommes, il existe une proportion significative de femmes étant auteures de ces violences. La situation à Cité-des-Prairies nous rappelle que ces cas ne sont pas rares. Il est difficile d’avoir des chiffres qui représentent la réalité concernant la délinquance sexuelle chez les femmes. Dans l’un des projets de recherche en cours au Québec portant sur les hommes ayant vécu de l’abus sexuel à l’enfance au Québec, 1 fois sur 4 (26%), l’agresseuse était une femme. Le tabou des violences sexuelles commises des femmes freine justement le dévoilement de ces violences sexuelles contribuant ainsi à cette loi du silence

Père de son abus sexuel

Selon ce que rapporte La Presse, « L’une de ces éducatrices est tombée enceinte et a accouché d’un enfant, dont le père est l’un de ces mineurs.  Une autre est aussi soupçonnée de porter l’enfant d’un jeune qui n’avait que 15 ans au moment des contacts sexuels dénoncés.» Ce sont des situations très graves qui entraînent des répercussions, non seulement sur l’adolescent, mais aussi sur l’enfant né de cette agression. Il est important de rappeler que depuis juin 2023, la loi permet à une personne victime de contester la filiation d’un enfant issu d’une agression sexuelle et une réclamation d’une contribution financière pour subvenir aux besoins de l’enfant. De plus, l’enfant issu d’une agression sexuelle peut éventuellement contester le lien de parenté s’il le souhaite. Quelles seront les réactions sociales si cet (ou ces) adolescent souhaite s’opposer à la filiation parentale de son agresseuse, même si c’est la mère de l’enfant ? Serons-nous en mesure d’offrir un soutien et un accompagnement libre de biais genré qui ne stigmatiseront pas ces adolescents ou ne les retraumatiseront pas? Il est important de poser ces questions, car encore nos biais sur les violences sexuelles chez les hommes peuvent engendrer des réactions sociales négatives sur la suite de la vie de cet adolescent et de son enfant. 

« Inconduite sexuelle »

Le terme «inconduite sexuelle» permet de couvrir une plus large gamme de comportements à caractère sexuelle que le terme «agression sexuelle» qui se réfère plus spécifiquement à l’article 271 du code criminel. Considérant cette problématique qu’il n’y a pas d’accusations criminelles pour l’instant, il est difficile d’utiliser l’«agression sexuelle» dans le travail journalistique. 

Toutefois, les limites journalistiques ne doivent pas limiter le choix de mots dans nos discussions sur les violences sexuelles. La loi est claire en ce qui concerne les gestes qui sont rapportés. L’âge du consentement est de 16 ans et lorsque la personne est en position d’autorité, comme une intervenante travaillant auprès d’un adolescent, l’âge du consentement est de 18 ans. Peu importe les gestes à caractère sexuel qui ont été posés sur des mineurs par des personnes adultes en position d’autorité, ne craignons pas d’utiliser les termes appropriés : ce sont des abus sexuels. L’absence de rappel sur la loi concernant les violences sexuelles et l’hésitation à utiliser des termes comme «abus sexuel» pour ces victimes contribuent à banaliser la gravité de la situation dans le discours public.

Il y a près de 2 ans, le ROQHAS et de nombreux partenaires signent une lettre ouverte dans le Devoir intitulée Le tabou de la victimisation sexuelle au masculin. Cette lettre dénonçait la banalisation des violences sexuelles vécues par les hommes suivant les réactions sociales à la série de fiction Chouchou. Ne réagissons pas de la même manière encore, puisque cette fois-ci ce n’est pas de la fiction. 

À propos du Regroupement des organismes québécois pour les hommes agressés sexuellement (ROQHAS)

Fondé en 2020, le Regroupement des organismes québécois pour les hommes agressés sexuellement (ROQHAS) a pour mission est de rassembler les organismes communautaires dédiés au soutien des hommes ayant vécu une agression sexuelle au Québec, ainsi que toutes et tous les intervenant.e.s concerné.e.s par cette réalité. Actuellement, il représente plus d’une vingtaine de membres. Le ROQHAS intervient principalement dans la promotion, le financement, l’amélioration et le développement de services adaptés aux besoins et aux réalités des hommes ayant vécu une agression sexuelle. 

Contact Média

Pour plus de renseignements ou une demande d’entrevue en lien avec le rapport, vous pouvez communiquer avec :

Samuel Dussault

Directeur du ROQHAS

samuel.dussault@roqhas.org

514-797-2787

Note : Les statistiques énoncées sont tirées de différentes sources qui seront fournies sur demande.